Aller toujours de l’avant, ne jamais reculer

Comment l’EERS entend gérer les conclusions de l’étude de l’Église protestante d’Allemagne sur les abus

Blog sur la Conférence Femmes et Genres de l’EERS

En prélude au synode de l’EERS, la Conférence Femmes et Genres et le CCTE se sont attaqués ensemble à un sujet brûlant, l’étude sur les abus de l’Église protestante d’Allemagne (EKD), un véritable séisme dont l’onde de choc se fait sentir aussi à l’étranger. La question est désormais de savoir ce que signifient les résultats de cette étude pour la Suisse. La Conférence a fait preuve d’une clarté et d’un état d’esprit constructif étonnants pour un sujet aussi difficile. La volonté d’aborder le problème est présente, reste à décider comment. Une étude nationale sera probablement réalisée au sein de l’EERS pour éclairer ce phénomène caché et prendre la mesure de l’importance des abus.

Lors de son mot de bienvenue à la Conférence Femmes et Genre, organisée à cette occasion en collaboration avec le Centre de Compétence pour la Théologie et l’Éthique (CCTE), Ruth Pfister, membre du Conseil, a souligné l’importance de cette manifestation en tant qu’espace de débats et d’échanges. De nombreux cas lui ont été rapportés depuis la publication de l’étude pilote de l’Église catholique en septembre 2023 et elle s’est entretenue avec des spécialistes. Si elle avoue que la façon d’aborder ces abus a déclenché une lutte, elle est néanmoins convaincue que ce débat est non pas clivant, mais fécond, à condition qu’il soit mené de manière franche et constructive. « Il n’y a pas d’autre façon d’agir préventivement. »

On ne peut en effet se borner à recenser les cas et à les étudier de façon adéquate, c’est-à-dire en y associant les victimes (sans parler encore à ce stade d’excuses, de condamnation ni, le cas échéant, de réparation). L’EERS entend ainsi aller au-delà de cet état des lieux pour comprendre et supprimer les structures qui favorisent les abus.

Commençons toutefois par le début : que contient l’étude de l’EKD publiée en janvier 2024 ? Sabine Scheuter, présidente du comité de la Conférence Femmes et Genres, a analysé en profondeur des chapitres entiers de ce document de 800 pages. Sabine est aussi, au sein de l’Église nationale de Zurich, la répondante des victimes de dépassements des limites et de violence sexualisée. L’étude de l’EKD a dévoilé l’inexactitude des mécanismes de rejet encore courants il y a peu (chez les Réformés, ce n’est pas comme chez les catholiques ; ces cas appartiennent au passé ; il y a aussi des abus ailleurs dans la société). L’intervenante signale que, même si la violence sexualisée se produit aussi dans les clubs de sport et, surtout, au sein de la famille, cela ne nous exonère pas de tout faire pour a) aborder notre passé de façon critique et b) faire de nos Églises aujourd’hui le lieu le plus sûr possible.

Et cette voie est semée d’embûches. Pour Sabine, la prise en charge des victimes n’en est qu’aux balbutiements, comme elle l’exprime sans détour : « On n’a jamais invité expressément les victimes à signaler les abus ! Et ce qu’elles peuvent attendre d’un signalement n’est pas non plus clairement défini. » Selon l’étude de l’EKD, les victimes veulent être entendues et prises au sérieux. Elles veulent raconter leur histoire et obtenir une reconnaissance (il reste à voir sous quelle forme). La situation se corse davantage lorsqu’on parle d’excuses et de mémoire. Les excuses ne doivent pas se faire au rabais, elles doivent respecter la légalité. En dernier lieu, mais non moins important, les victimes souhaitent recevoir des informations sur les procédures et veulent que les personnes accusées et les systèmes ne s’en tirent pas impunément.  

Le fait de voir l’Église comme un espace sûr et progressiste empêche souvent d’identifier les abus, qui, de plus, se cachent souvent derrière des idéaux tels que l’amour divin et le symbolisme chrétien du sacrifice. Dans les Églises, il est difficile de distinguer la vie privée de la vie professionnelle et s’il est souhaitable qu’une relation de confiance s’instaure entre les ministres et les membres de la communauté, cela n’empêche pas qu’il faille « mieux définir les responsabilités des relations dans le contexte “Église”. » Dans son état des lieux, Sabine Scheuter a aussi identifié des sources de courage, car les services chargés de la formation, de la prévention et du recueillement des signalements accomplissent déjà du très bon travail et sont bien rodés. Toutefois, eu égard à l’immensité de la tâche qui attend les Églises et à l’impossibilité de continuer dans la même voie, l’intervenante a lancé un appel au bon sens : « Étudier, vérifier, débattre. Prendre la situation au sérieux et procéder avec sagesse. »

Et pour cela, il faut savoir à qui on a à faire. À ce sujet, Marie-Claude Ischer, ancienne présidente de l’EERV et de la commission d’enquête sur l’affaire Locher, a décortiqué les mécanismes de la toute-puissance humaine dans l’Église. Derrière ce concept quelque peu difficile à saisir, elle a montré le mal que peuvent infliger les auteurs et autrices d’abus, sur les plans spirituel, social et physique. Petit à petit, ces personnes exercent une emprise sur d’autres, les manipulent, déplacent les limites, s’entourent d’un cortège d’admirateurs et admiratrices fascinés par leur charisme, imposent une pensée unique et s’érigent en mesure de toute chose. Il s’agit d’un problème non seulement relationnel, mais aussi systémique. « Nous devons réfléchir à notre système synodal. De nombreuses personnes ont plusieurs casquettes et cumulent un grand nombre de fonctions », constate Marie-Claude. Les Églises ont énormément de peine à lutter contre ces modes de fonctionnement mortifères. On s’emploie en effet à instaurer une culture de la tolérance et du « silence sur le mal ». « Souvent, ces Églises-là se sentent démunies, déstabilisées, ne savent que faire, ou croient faire alors qu’elles ne font pas grand-chose. » Marie-Claude indique qu’il est utile de constituer un groupe de personnes voulant mettre le holà aux actes de violence au sein de l’Église et agir. Il faut soutenir les victimes et accompagner les témoins. Le recours à des personnes tierces est aussi conseillé. Pour conclure, Marie-Claude recommande des mesures de prévention et la prière.

Après cette introspection, Anna Rosenwasser, conseillère nationale du Parti Socialiste et autrice féministe, a invité les quelque 80 participantes et participants à élargir leur champ de vision. Sondages récents à l’appui, elle affirme que les dépassements de limites sont un problème de société : 10 % seulement des femmes victimes de violence sexualisée déposent plainte à la police, par honte ou par peur de ne pas être crues ou de n’avoir aucune possibilité d’avoir gain de cause. Les études scientifiques apportent par ailleurs la preuve que cette démarche constitue un nouveau traumatisme pour les victimes : aujourd’hui encore, on leur demande quels vêtements elles portaient et si elles n’étaient pas consentantes ou, du moins, n’avaient pas provoqué l’agresseur. Le phénomène de stigmatisation des victimes reste ainsi d’actualité. « La responsabilité repose encore trop lourdement sur les épaules des victimes », constate l’élue. « Dans notre société, il n’y a pas du tout de débat sur la question de savoir ce qu’est la violence sexualisée », déplore Anna, qui ajoute que la sexualité reste stigmatisée, cantonnée à la vie privée et à la sphère du péché. Anna juge que l’Église porte elle aussi une part de responsabilité dans ce domaine. Elle estime ainsi nécessaire de mener une démarche de conscientisation et de créer des espaces sûrs dans lesquels échanger sans préjugés ni stéréotypes de genre sur la sexualité et sur les incidents qui dépassent les limites. L’Église doit soutenir les victimes, sensibiliser les membres de son personnel et leur offrir des formations continues, précisément parce que des personnes lui font très confiance. « L’Église doit se mettre en mouvement, elle en a le devoir, notamment dans une perspective historique. » Anna a rappelé aux participantes et participants que la mise en lumière des abus et leur prévention sont des démarches de longue haleine et que ce « combat né de l’amour » en vaut la peine.

Et l’une des « armes » dans ce combat contre les violations des limites pourrait être l’étude par enquête en population de l’EERS (de 2025 à 2027), qu’Anastas Odermatt de l’Université de Lucerne a brièvement présentée. Cette étude poursuit deux objectifs principaux : dresser d’une part un état des lieux qui détaille l’ampleur, les formes, les conditions et les conséquences des abus dans l’Église évangélique réformée et, d’autre part, créer un espace dans lequel les victimes seront entendues et prises au sérieux. L’EERS entend ainsi mieux comprendre les structures ayant favorisé les abus en son sein et en déduire des mesures de prévention ad hoc. Cette étude devrait être encadrée non seulement par des chercheuses, chercheurs et des spécialistes, mais aussi par une commission consultative réunissant toutes les parties prenantes. Le synode de l’EERS se prononcera le 10 juin sur cette étude, l’issue du scrutin est encore ouverte.

Pour les victimes, il est évident que l’Église doit agir et c’est pour cette raison que la Conférence a réservé les dernières interventions à deux groupes de soutien aux personnes victimes, le groupe SAPEC, une association très présente en Suisse romande, et IG-MikU, un collectif plus récent et présent en Suisse allemande. Les deux associations militent pour la reconnaissance des personnes victimes et la mise en lumière des structures favorisant les abus, le droit à la réparation, la sanction des agresseurs et agresseuses ainsi que des mesures de protection et de prévention efficaces. Elles ont entamé un dialogue avec les autorités ecclésiastiques, la justice et les services de signalement. Elles estiment qu’il n’est plus possible de se réfugier dans le déni et de minimiser les faits après les nombreuses révélations d’abus dans l’Église et dans la société. C’est Gabriella Loser Friedli du groupe SAPEC qui a eu le mot de la fin : « Tout ce que les Églises doivent savoir est sur la table, maintenant, elles doivent agir. »

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Michèle Graf-Kaiser

Fachmitarbeiterin für Medienkommunikation Deutschschweiz/Collaboratrice pour communication médias suisse-alémanique

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