Le 6 septembre, Sanija Ameti, élue verte libérale au conseil municipal de la ville de Zürich et co-présidente d’opération libéro a choqué l’opinion publique en publiant une photo d'elle tirant à l’arme à feu sur une image de la Vierge Marie et de l’enfant Jésus. Pierre-Philippe Blaser réfléchit au sens possible de cette publication à la suite de la tempête médiatique et politique qui l’a suivi. Quelles tensions sont à l’œuvre ici ?
Sur une page de journal, j’ai vu la reproduction imprimée d’une image électronique. Sur cette image imprimée d’image électronique, j’ai vu une femme politicienne tirant au pistolet en direction d’une image religieuse. L’image religieuse arborait une autre femme, identifiée comme étant Marie, portant un enfant, identifié comme étant Jésus, dont j’avais appris, un jour, qu’il permettait de façonner des imagesde Dieu.
Dans l’article qui accompagnait l’image imprimée, j’ai lu que cette politicienne avait probablementécorché son image publique en raison de cette destruction d’image religieuse. Le parti politique qu’elle co-présidait lui avait d’ailleurs demandé de démissionner par crainte que ce dégât d’image personnelle ne ternisse l’image du parti.
Cela faisait beaucoup d’images pour mes petits yeux de protestant imbibé d’ambivalence concernant ce thème. Au gré de quelques hypothèses, je me suis tout de même demandé ce que visait cette politicienne. Histoire de me faire une image.
Je me suis souvenu que l’enfant figurant sur l’image visée avait, une fois adulte, été mis à mort. En termes de dégât d’image, cette exécution avait, si j’ose dire, atteint sa cible : dégât d’image sur le chef politique qui n’en était pas un ; dégât d’image sur le Tout-puissant soudain tout défait. On n’aurait pas pu faire pire. Si bien qu’à compter de ce jour d’infamie totale, tout ce qui allait être entrepris pour détruire les images de Dieu était par avance déclaré sans effet. De ce point de vue plutôt protestant, et dans l’hypothèse qu’elle ait voulu par son geste tuer Dieu, la dame au pistolet se serait inutilement fatiguée, comme d’autres avant elle, en cherchant à défoncer une porte laissée béante depuis deux millénaires.
Cela ne pouvait donc, de toute évidence, pas être là sa cible
L’image de la dame qui tient le pistolet aurait ici plus d’importance que l’image dans sa ligne de mire. L’arme de poing serait pour la politicienne un accessoire qui la transformerait en égérie de la cause féminine. Mais, si l’on en croit la chanson Miss Maggie de Renaud, ce sont plutôt les mâles qui, dans leur besoin abyssal de dominer le monde, sont obsédés par le pouvoir symbolique des armes. Sa chanson décrit d’ailleurs la dame Thatcher comme l’exception qui confirme la règle. De ce point de vue de protestant, et dans l’hypothèse qu’elle ait souhaité ressembler à une femme exceptionnelle, la politicienne au pistolet se serait davantage alignée sur la virilité des cow-boys avaleurs de T-boon steak du Texas que sur les filles spirituelles de Jeanne d’Arc. Visant un renforcement féministe, elle aurait rallié la cause viriliste en se trompant bêtement de symbole.
Cela ne pouvait donc, de toute évidence, pas être là sa cible.
Sur les peintures préhistoriques d’animaux, on a vu de méchantes griffures contemporaines à leur réalisation. Les anthropologues en ont conclu qu’il s’agissait de préalables à la chasse, visant à lacérer non d’abord l’image, mais la force des animaux qu’elle représentait. Je me suis souvenu que les iconoclastes de tous les âges avaient été inspirés de la même manière, visant avant tout les maléfices que leurs cibles représentaient. La dame au pistolet aurait, dans cette logique, cherché à atteindre les mâles promoteurs de la femme-sainte-et-mère, inspirateurs des images de la Vierge. Mais, dans cette hypothèse– qu’un protestant pourrait comprendre –, elle aurait dû recevoir les acclamations nourries des milliers de femmes qui, d’un clic sur Instagram, se seraient libérées de ce stéréotype. Or nous n’avons rien vu de tel.
Cela ne pouvait donc, de toute évidence, pas être là sa cible.
La liberté d’expression est sœur de la démocratie, c’est bien connu. Et cette paire indissociable peutcompter sur de courageux défenseurs. A l’exemple de Donald Trump et Elon Musk [tous deux rendus célèbres par leurs publications en philosophie politique] dont la presse spécialisée a un jour donné la définition synthétique issue de leurs travaux : « la liberté imprescriptible de quiconque, fût-il le dernierdes imbéciles, de balancer n’importe quel contenu, y compris des imbécilités, en tout temps et n’importe où, pourvu que l’émetteur ait les moyens - s’il est repéré - de réduire au silence ses adversaires en justice ou à travers le canal de communication dont il est propriétaire.
Sur la base de cette définition, il m’a semblé que je m’approchais de l’hypothèse la plus vraisemblable. Pour deux raisons. La première est que la justice a été mobilisée pour traiter cette affaire (réaction des jeunes UDC). La seconde est que la dame au pistolet est juriste diplômée et qu’elle s’intéresse à la liberté d’expression au sens défini ci-dessus. Son geste inaugurerait, dans cette hypothèse, une série d’actes courageux qui ne reculeront pas devant les tribunaux et qui n’hésiteront pas à mettre la main au porte-monnaie pour faire peser leur cause dans la balance de la vérité.
Rassuré par cette hypothèse, j’ai compris que l’image vue dans le journal était en fait beaucoup plus qu’une image. C’était l’emblème inaugural d’un âpre combat pour la défense de tous les émetteurs de messages. Y compris les imbéciles, qui méritent tout notre respect, et que la censure, hélas, menace encore.
La dame au pistolet était ainsi la nouvelle image de la démocratie. La Winkelried de la liberté d’expression virtuelle.
Or ce n’était pas moi, même protestant tenté par l’iconoclasme, qui allait détruire un tel trésor culturel. J’ai donc laissé le journal intact sur le comptoir.
Pierre-Philippe Blaser, pasteur, président du conseil synodal
de l’Église Réformée Évangélique du canton de Fribourg et membre du conseil de l’EERS
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