Le deuxième volume de la collection « À voix haute » s’intéresse à la théologie au-travers de quatre conférences : sur la place de la théologie entre sciences des religions et expérience de la foi et son rôle dans le ministère pastoral, sur le Prologue de l’Évangile selon Jean comme « laboratoire de l’intelligence de la foi » et deux conférences de type historique, dont l’une sur Guillaume Farel. Sandrine Landeau commente ces propositions en les mettant en contact avec son expérience pastorale.
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La question titre de ce second volume de la collection à voix haute ne semble improbable que quand on fréquente les cercles les plus intérieurs de l’Église. Je peux vous garantir qu’on me l’a souvent posée quand j’ai choisi de commencer des études de théologie à presque 30 ans, venant d’un milieu très éloigné de toute pratique religieuse.
La grande lectrice que je suis aime particulièrement l’une des réponses formulées dans ce petit opus : faire de la théologie, c’est lire ! « C’est-à-dire se laisser interpeller par des textes de toutes sortes. » (p. 3)
Comme dans chaque numéro de la série, le volume rassemble des conférences données par les enseignant-es de l’IPT sans lien direct entre elles. C’est donc a posteriori qu’elles ont été rassemblées sous ce titre, qui est aussi celui de la conférence d’Elian Cuvillier. Il distingue la théologie de la science des religions d’une part, de l’expérience de la foi d’autre part, sans l’opposer ni à l’une, ni à l’autre, et termine par une réflexion sur le pasteur comme théologien praticien qui intéressera tant les praticiens du ministère que les bénéficiaires de ce ministère. La posture proposée par Elian Cuvilier rejoint celle que j’essaie de mettre en pratique avec les paroissien-nes de tous les âges, inspiré-e notamment par les collègues de l’Église des Enfants et leur travail sur l’enfant théologien. Pour Cuvillier, « le pasteur ne donne pas de réponse, il aide chacun à répondre de lui-même dans le monde et devant son Dieu. Le pasteur se laisse rencontrer par l’autre et répond de l’effet de ce que la parole de l’autre fait en lui. Ainsi peut-il aider l’autre à devenir sujet de sa propre parole, parce que celle-ci aura été écoutée. Le pasteur est donc un écoutant (…), un interlocuteur (…) et le témoin d’une Parole fondatrice (symbolique) au sein d’une communauté de foi (un imaginaire) où chacun vit des expériences multiples (un réel). » (p. 14-15)
Si faire de la théologie c’est bien souvent lire, et se laisser interpeller par les mots des autres, c’est aussi souvent écrire et chercher ses propres mots pour dire quelque chose de l’expérience de la foi. François Vouga nous invite à relire le poème qui ouvre l’Évangile de Jean comme une écriture-laboratoire de l’intelligence de la foi. La forme poétique est un outil qui cherche à la fois à élaborer la foi et à faire du lecteur ou de la lectrice un-e théologien-ne : elle « élargit le domaine du pensable, défrichant de son imagination des espaces encore impensés qu’[elle] offre à la réflexion systématique qui les cultivera. » (p. 21). Elle échappe à toute tentative de l’assigner à un lieu et un sens uniques, disant ainsi quelque chose de fondamental pour la théologie ! Le poème met la forme au service du fond qu’il veut transmettre, perspective que je trouve particulièrement stimulante pour nos liturgies !
Les deux conférences suivantes nous plongent dans la dimension historique de la théologie, à travers la réception de la figure peu connue aujourd’hui d’Hermès Trismégiste sous la plume des chrétiens (Anna Van den Kerchove) d’une part, et un parcours autour du réformateur Guillaume Farel (Chrystel Bernat). Outre des connaissances factuelles qui enrichissent notre réflexion, ces deux conférences m’ont pour ma part fait réfléchir à notre besoin de nous construire des idoles à partir de personnages historiques, en faisant des saints, des modèles, des êtres supérieurs… jusqu’au jour où l’on découvre une faille et où l’on se retrouve fort démuni devant la chute de l’idole en question. N’est-il pas plus juste anthropologiquement et théologiquement de regarder tous nos prédécesseurs et prédécesseuses dans la foi comme des êtres humains comme vous et moi, avec leurs ombres et leurs lumières, leurs fulgurances qui nous inspirent encore et leurs failles qui nous horrifient, nous agacent ou nous attendrissent. Les secondes ne devant pas conduire ni à une complaisance facile, ni à rejeter les premières ! Le portrait de Farel proposé par Chrystel Bernat, tout en nuance, nous invite à une salutaire démarche de lucidité et de tri dans nos héritages.
« En régime protestant, la liberté du chrétien a un prix : elle suppose une réformation perpétuelle, qui consiste à ne jamais cesser de questionner sa foi, à ne jamais se satisfaire d’un prêt-à-penser qui serait comme un autre servage, une aliénation. Gardons de Farel, porteur de l’Évangile, cet appel à une salutaire vigilance. », conclut-elle p. 96. Et si la théologie n’était rien d’autre que cette « réformation perpétuelle », à la lumière d’un Évangile toujours à recevoir ?
Qu’est-ce que la théologie ?, Collection « A voix haute, conférences de l’IPT », vol. 2, Olivétan/Institut Protestant de Théologie, 2021.
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Sandrine Landeau est pasteure dans l'Église protestante de Genève (région Centre-Ville rive gauche), après une première vie professionnelle comme ingénieure dans le domaine de la recherche forestière.
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